10 novembre 2010

l'hOmme qui ne se levait plus...

   Le jour se lève, pas lui. Il se terre sous la couette, se recroqueville, prenant une bouffée d'oxygène souillé en inspirant fort dans son oreiller. Il referme les yeux, l'esprit lointain et cotonneux. Il se rendort. Le soleil brille dehors. Sa chambre, à défaut d'être aérée, s'est réchauffée. Il émerge timidement. Depuis deux ans et demi, ce n'est pas du noir qu'il a peur, c'est du jour. Il s'enfonce, et renonce, une fois de plus. Il n'a plus partagé ses draps sales depuis des lustres. Il a appris le déni, l'impuissance de vivre dignement. Il se rendort. Dehors, le vent balaie le trottoir. À l'intérieur, ça pue. Au milieu de l'après-midi, il fait surface, il s'étire et éructe. Il se sent le creux des bras, et enchaîne les bruits de bouche. Pas une fois il ne sourit. Pas une fois il ne croit à ce qu'il vit.
   Une éternité passée, il a les deux pieds vissés au sol, le dos courbé, les mains sous les cuisses, la tête tombante, ses cheveux trop longtemps négligés collent les uns aux autres. Au prix d'un effort qu'il ponctue de sacrements à voix basse, il rapproche sans se mettre debout la bassine qui se tient fidèlement sur le côté du lit délabré. Il se concentre et vise. Une pisse colorée et odorante pleut sur le lino, hydratant les moutons et les immondices. Exténué, il se laisse retomber sur le matelas mou. Il a mal. Mal au coeur, mal à la vie. Échoué à nouveau, il ferme les yeux.
   Le crépuscule s'impose enfin dans la piaule désincarnée. Comme chaque soir, il surgit de son pieu, presque nu, et s'excite subitement. Il coure et dérape sur les merdes et les flaques de vomi séché, il ouvre la porte d'entrée et dévale les marches de son immeuble les yeux embués. La porte de la boîte aux lettres est entrouverte, vide, comme toujours. Il s'assoit, les paupières forées, la bouche à demi béante, le bout de son épaisse langue jaunie repoussant sa large lèvre inférieure. Il reste là un moment, inerte, sans croiser personne...
      -Monsieur?
   Pas de réponse, pas même un sursaut.
      -Monsieur, vous ne pouvez pas rester là. Il faut remonter chez vous, il est tard.
   La tête basse, les yeux grand ouverts rivés sur la céramique gelée, il bave lentement.
      -Monsieur, vous devez vous reprendre, faites un effort... Je... Vous savez les gens parlent, enfin nous parlons de vous... On est à peu près tous d'accord d'ailleurs, il va falloir partir monsieur... On peut plus supporter votre état...  Vous comprenez ce que je vous dis? Vous faites peur à nos enfants... Mais regardez-vous! Et l'odeur, monsieur, l'odeur... c'est plus supportable, ça empeste dans votre appartement et le pire c'est que ça se répand dans tout l'immeuble. Répondez-moi, bon sang, vous ne parlez jamais! Monsieur, je veux bien être gentil mais je vous le dis, il va falloir partir sinon... sinon, enfin, ce que je veux dire c'est que ça va pas bien se terminer. Monsieur?
   Il ne réagit pas, il ne bouge pas, il est absent.
      -Bon, au moins je vous aurais prévenu! Nan parce que moi je suis pas méchant, vous savez, mais c'est quand même pas de ma faute si votre gamin est mort. C'est de la faute de personne! Si vous croyez que picoler va vous le ramener, bah je vous le dis moi, vous vous trompez! Ouais, croyez moi, vous feriez mieux d'essayer d'oublier tout ça et de partir. Aller ailleurs ça ne pourra que vous faire du bien, pis à nous aussi... Monsieur, vous comprenez ce que je vous dis, nom de dieu?
   Il n'aura qu'un silence pour défense. Le voisin rentre chez lui. Il rentre conter son héroïsme à sa femme, qui le pousse depuis des mois à aller dire à cette loque ce que tout le monde pense. Ils seront fiers, ce soir, de cet acte de bravoure.
   Sous la boîte aux lettres ouvertes, Jean a relevé la tête, les yeux dans le vide. Fébrilement, il met son maigre corps debout. Il titube, monte les vingt-quatre marches à quatre pattes, et regagne après de longues minutes sa déchèterie.
   Pour la première fois depuis qu'il a regardé son fils de quatre ans s'en aller fâché de s'être fait disputé, passer le pas de la porte pour la dernière fois, il a tourné la clé dans la serrure. Il a marqué une courte pause, il a relevé la tête, enfin, et s'est assis à la table de la cuisine. L'arme l'attendait depuis trop longtemps. Il n'a plus hésité. Il a suivi le conseil du voisin. Il est parti.

1 commentaire:

Mel a dit…

En effet, super touchant!! Moi je ressens beaucoup d'émotion: de la tristesse... on sent que cet homme n'est que l'ombre de lui même!!
Il y a une part de suspens car on se demande pourquoi cet homme vit de cette façon!! On ressent également le dédain des gens à travers le voisin...
Voilà, je ne sais pas trop ce que je peux dire de plus.
Peut être un peu compliqué à certain passage mais avec de la concentration, on comprend!!